Déli Kongoli : « Au Nord-Kivu et dans l’ex Province Orientale, on se recherche encore en musique alors que Kinshasa a déjà fait ses preuves »

Déli Kongoli
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Artiste musicien et technicien de studio, Deli Kongoli draine avec lui une riche carrière musicale qui l’a conduit à travailler tour à tour pour plusieurs studios d’enregistrement musical à Kinshasa entre 1992 et 2003 : 1992 (Studio Bobongo Sound à Beau Marché), 1996 (Sudio M’Ecko sur 1ère Rue Limete Industriel), 2000 (Studio Shabani Records sur des Huileries) et 2002 (Studio Mayino Media à Beau Marché). Il compte à son actif trois albums : Oyo nindi (Qui est-il ?) avec Yira Folk en 1992, Aghendire (Il est parti depuis longtemp) avec Nande Révélation en 1994 et Ndeke Ndeke avec Nande Force en 2012. Sollicité en 2003 par des prêtres de la congrégation des Pères Assomptionnistes pour implanter un studio d’enregistrement à Butembo (le studio D’Alzon.Com), cet artiste musicien nande faisant du folk est, depuis lors, établi à Butembo d’où il sillonne plusieurs coins du Nord-Kivu et de l’ancienne Province Orientale pour assurer des formations et réaliser des albums. Musique.cd l’a abordé pour connaitre la température de la musique dans la région.

Quel regard portez-vous sur la musique au Nord-Kivu et en ex Province Orientale par rapport à ce qui se fait à Kinshasa dans ce domaine ?

Déli Kongoli : De ce côté, on se recherche encore alors qu’à Kinshasa ils ont déjà fait leur preuve. C’est déjà un travail qui s’est imposé dans la ville avec toutes les structures qui vont avec : une main d’œuvre, le circuit de distribution des disques, une classe moyenne à côté des industriels qui investissent dans la musique. Avec cette architecture, la musique est une activité qui génère ce qui fait vivre ceux qui font la musique comme métier. Mais au Nord-Kivu, tout est encore au stade embryonnaire. Je dirai que ceux qui sont là sont des pionniers dans le domaine.

Pourquoi, selon vous, les musiciens locaux sont-ils plus tournés vers l’Ouganda, le Kenya et la Tanzanie que Kinshasa ?

Déli Kongoli : La raison principale est la proximité géographique. Kinshasa est quand même situé à 2000 kilomètres d’ici. Ce qui fait que pour s’y rendre, il faut avoir assez de moyens (par avion ou par bateau) alors qu’on peut atteindre Kampala (Ouganda) ou Naïrobi (Kenya) en une ou deux journées par route. A cela s’ajoute la proximité linguistique. De l’autre côté on parle Kiswahili comme chez nous à l’Est du Congo. Quand vous vous rendez à Kampala ou Naïrobi, vous vous trouvez dans un milieu linguistique qui vous est favorable. Par contre à Kinshasa, en plus du lingala qu’il faut apprendre, il faut aussi une intégration sociale sans compter le fait que les kinois considèrent tous ceux qui viennent des provinces comme des « Ba uta ». Cette situation vous met dans une sorte de torpeur telle que vous ne vous sentez pas à l’aise. Pour un artiste qui veut directement travailler en arrivant, il n’est pas évident de s’en sortir.

Comment appréciez-vous artistiquement ceux qui s’adonnent à la musique dans la région ?

Déli Kongoli : Avec l’arrivée des structures d’enregistrement, les artistes locaux ont fait leur preuve. Seulement, ils sont confrontés au problème d’inexistence des producteurs et des promoteurs. Il n’y a pas dans la région des gens qui investissent dans la musique. On sent que les artistes peuvent faire quelque chose mais les soutiens ne suivent pas. Encore que, même à Kinshasa, quand on se lance dans la carrière, on n’a personne qui croit en vous. C’est que, il faut batailler dur et si possible y aller par ses propres moyens. C’est au bout de ce travail personnel qu’on peut se forger une renommée capable d’attirer l’attention des maisons de production. Sinon, les artistes du Nord-Kivu sont très valables. Il y a quelques noms qui sortent du lot comme Innocent Balume, Bakulu Mukulu, Popal Isse Vossy, Mayaya Santa et les autres qui se sont forgé une renommée. D’ailleurs, la diversité des styles des musiciens de la région constitue une richesse. En rentrant de Kinshasa, j’ai constaté que le R&B fait tache d’huile. Ce qui veut dire que les artistes musiciens sont branchés mais manquent de sponsors.

Est-ce que le public répond ?

Déli Kongoli : Le public répondrait mais la situation d’insécurité qui prévaut dans la région fait que les activités socio-culturelles tournent au ralenti. J’ai récemment assisté à un festival organisé par l’Eglise Evangélique du Rite Africain (EERA) chez Holly Day Park à Butembo. C’était pratiquement un troisième culte pour cette église. J’ai vu plus de 800 personnes dans une salle qui ne peut contenir que 500 personnes. Ce qui m’a poussé à dire qu’il y a quand même un public. Même à l’occasion d’autres productions musicales, on est étonné de constater que le public est au rendez-vous alors qu’on s’attendrait au contraire. En fait, avec des difficultés financières, les artistes de la région ne savent pas donné le meilleur d’eux-mêmes. Ce qui fait qu’on a l’impression que ce sont ceux qui sont ailleurs qui produisent. En réalité, le Congo est une terre de musique. Comme ne cessait de le répéter un grand journaliste de ce pays, dans chaque village, il y a au moins un musicien. Mais la question qui se pose est celle de savoir s’il a la possibilité de proposer son art ?

Comment voyez-vous l’avenir de la musique dans la région au regard de la multiplicité des studios d’enregistrement à Butembo, Goma et ailleurs ?

Déli Kongoli : La multiplicité des studios ne constituerait pas un problème en soi. Elle faciliterait plutôt le travail. Le problème vient du fait qu’ici, on pense que quand on vend son service moins cher, on a la chance d’avoir plus de clients. Or, il y a des services une fois bazardés, ils perdent leur valeur intrinsèque. Et par conséquent, on ne produit plus rien non seulement par rapport à la qualité du produit mais aussi par rapport au personnel engagé. Il faut donc établir un standard à respecter par tout le monde. Le client ne connaissant pas les normes exigées, il va malheureusement vers celui qui offre le service le moins cher. Ce qui tue la petite industrie locale de la musique. Je ne veux pas non plus dire que c’est la cherté du service qui fait sa qualité. Toutefois est-il que les gens doivent savoir qu’il y a des normes à respecter pour chaque travail. Connaissant la culture locale avec la tendance à ramener le prix au plus bas, je crains que la multiplicité aille avec la baisse de prix et par conséquent les « experts » du domaine s’exiler dans d’autres cieux où la musique a de l’avenir. Bien encadrée, la multiplicité des studios d’enregistrement peut participer à l’éclosion de la musique.